L’hiver à Finike, un art de vivre

 

2010, mi février, 7 heure du matin, le jour se lève. C’est presque le printemps. En tout cas, fini l’hiver. Dans peu de temps, Marie France me préparera un petit déjeuner, que je savourerai dans la douceur ensoleillée de mon cockpit. Des choses simples, et banales ici, aux pieds enneigés du Taurus :

  • Un yaourt fait main... mais fait main... vraiment, à la main... pas du marketing à la con, non, du yaourt comme le faisaient les Yörüks, il y a quelques siècles , nomades du Taurus... à la main...
  • Avec çà du miel acheté en vrac au marché... Nous apprécions particulièrement le miel de pin, "çam bali" disent les turcs. Son goût délicat, pas trop sucré, parfumé de l’essence balsamique des pins, se mélange bien au yaourt, lui donnant une belle couleur ambrée clair...
  • Marie France a pour habitude, d’y ajouter des fruits de saison. Ce peut être des raisins blancs d’Izmir, des bananes d’Alanya ou de Gazipasa, çà dépend de la saison. On trouve aussi des poires d’Antalya, et des pommes de Elmali.
  • Le tout accompagné du jus de deux oranges fraîches, des "Washington" de Finike cela va sans dire.
  • C’est un vrai plaisir... Légèrement contrarié du fait qu’il faut ici, faire son marché tout les jours. Ces produits, sans colorant, sans conservateurs, on peu de conservation. Nous sommes obligés de consommer frais... Tâche compliquée du manque d’homogénéité des formes et des couleurs. On peut estimer que ces turcs sont encore loin de satisfaire aux normes ouest européennes !!!!

 

L’hiver à Finike, la tribu

Cà a commencé il y a huit ans. Octobre 2002, nous arrivions de la Mer Egée, avec le petit Fantasia. Partis de Bretagne Sud deux ans avant, nous avions passé le premier hiver en Crète, à Aghios Nikolaos, dans une excellente ambiance. Nous souhaitions y retourner, mais, à Kos, bloqués plus d’une semaine par du mauvais temps, nous avons fini par écouter nos voisins, qui nous disaient : allez à Finike, c’est super !!!


Va pour Finike... Sitôt à quai (ponton A, ponton des petits bateaux), je me mets au travail. M’étant bêtement mis dans la tête de refaire les vaigrages, comme souvent dans ce cas de figure, on en profite aussi pour refaire le réseau électrique... Roule petit mousse, le breton est courageux... Du courage, il en fallu, parce que cette année là il a plu. Il n’a plu qu’une fois : du 15 novembre au 15 avril, tout le temps !!!!!


Donc, sans m’occuper de personne, je me mets au boulot, tout seul, dans mon coin. Au bout de trois jours je vois un mec arriver qui me dit : alors les bretons.... on ne parle pas français !!! Cà, c’était Patrick, le compagnon de Catherine, qui deviendra ma collaboratrice dans l’aventure de la fabuleuse Gazette de Finike, la seule Gazette de Finike en langue française....


Patrick... Un cas, du talent à l’état brut, drôle, sympa, gentil pour reprendre un mot malheureusement tombé en désuétude, et doué, incroyablement doué. Patrick, a une solution à tous vos problèmes. Lui et Catherine donneront le ton à l’ambiance française de Finike. Patrick, Catherine, bien sûr, c’est 4Pat...
Ils sont arrivés à Finike en début d’été, avec deux autre voiliers français : Thierry et Damienne sur leur catamaran Pause, et Sabine et Win le Gallois sur leur Westerly de 35 pieds.
Alors qu’il n’y avait plus aucune présence française hivernale à Finike, ces quatre voiliers là vont donner naissance à une colonie francophone.

Cette mayonnaise ne peut prendre que pour de solides raisons. Il faut des intérêts communs, dictés par des motivations partagées. Ce qui nous rapprochait :

le goût de vivre sur un bateau, la curiosité d’aller voir ailleurs, et la sagesse de savoir attendre au port l’hiver que çà se calme un peu.
Car, les hivers en méditerranée orientale, çà peut bastonner très dur.
Alors, s’organiser un lieu de vie agréable, dans un port intégré à une petite ville turque, sans frime, sans clinquant, est devenu pour nous une évidence
On a passé six mois d'hiver, entre potes à Finike

Puis on a navigué six mois,

  • qui en Mer Rouge,
  • qui en Mer Égée,
  • qui en Mer Noire...
  • Istanbul, Venise, Alexandrie, sont devenue nos banlieues... Rien que çà !!!

Du coup on a recommencé l’année suivante, puis encore, puis encore. Cà s’est su... Et on a vu arriver des bateaux français, et francophones, renforcer l’ambiance tonique que les frenchies donnaient l’hiver à Finike. Il en arrivé de partout : du Canada, de Suisse, de Belgique, de Nouvelle Calédonie, de Tunisie et même d’Australie. Si bien que pour l’hiver 2007, la marina était francophone. Le directeur de la marina, ses adjoints, d’autres marins venaient aux cours de français... Nos amis britanniques en sont un peu tombés sur le cul... D’autant plus que cette année là a débarqué une colonie de canadiens, néo zed et d’aussies , développant leur belle vitalité post coloniale habituelle.

 

L’hiver à Finike, on s’occupe
C’est cette année là ou Catherine a donné ses fameux cours de turcs au francophones : jamais moins de vingt personnes, tout les jeudi à 18 heure... En fait, plutôt 18 heure trente... pour finir à 19 heure, enfin plutôt 18 heure 30....
Parce que après c’était la fameuse bouffe française de Finike. Là, on ne comptait pas, çà pouvait durer très tard. Tout le monde préparait quelque chose et on partageait.
Tout les talents cristallisés : ceux de cuisinières, et des cuisiniers, et pas de la cuisine de jean foutre, hein, non, du raffiné.

Incroyable, ambiance gauloise, pliés de rire aux histoires néo calédoniennes de Alain le breton de Nouméa, Alain venu avec belle Nadia, sa femme, après un demi tour du monde, en sept ans... sept ans, çà, c’est prendre son temps !!! Et pas gâchés, les sept ans, hein, vécus à fond sur leur belle goélette Ar Gadal... Tout le monde plié de rire à l’histoire insensée de Pierre le québécois, mon jumeau astral, parti passer un mois en Thaïlande, avec belle Louisette sa femme, dite ‘sexy Louisette’, qui ont suivi des cours d’art de vivre traditionnels en Thaïlande : Pierre, des cours de cuisine, et Louisette des cours de massage, si, si...

Il faut aussi parler de Jean, le turc. Vrai turc, mais né au Liban et chrétien !!! Lui et sa femme Margot, allemande et francophone, comme Jean, ont passé l’âge des fantaisies, mais pourtant, bien que possédant un bel appartement à Antalya, ils préfèrent vivre l’hiver à Finike, à bord de leur voilier, au bout du ponton C. Jean doit bien avoir 85ans... Quand je le croise, se déplaçant difficilement avec sa canne, il me salue toujours en me disant ‘bonjour le grande nation’. Au début, j’ai cru qu’il se payait ma tête... Mais non pas du tout, la France a tout simplement la cote...

Il faudrait parler, de Marc, de Christian, de Valérie, de Bernard, de Jean Marc, qui se distinguait, ici avec ses deux sisterships, tous les deux Jeanneau 52 plan Bruce Farr. Quand on l’interrogeait à ce sujet, il nous répondait qu’il aimait bien Bruce Farr... Sans oublier Serge et Dominique, Jean Luc et Dominique... Dominique l’incroyable goualante et son accordéon... Et tous les autres... Et François Xavier, le co propriétaire du premier journal quotidien Français, qui vient boire des p’tits coups sympa entre bretons... Et Robert, et Anne Marie, et Jean Claude et Chantal, et Françoise et Jean Jacques, et tous les autres...

On a fait aussi des échappées dans les maisons construites par Alain et Nadia, mais aussi Patrick et Catherine, et l’appartement de Win et Sabine... Archi branché bouffe et déconades...

En fait beaucoup plus que de l’amitié, beaucoup plus... Et dans une ambiance parfaite : pas de commérage, pas d’histoire de cul... Non, des marins français, expatriés et mettant leurs talents en commun pour l’hiver.

L’hiver à Finike, on bosse...

On n’a pas mis que la cuisine en commun, quoique ici, cela ait de l’importance. C’est peut être aussi lié à la qualité des produits : régal des papilles mais aussi régal de l’œil. Le marché du samedi à Finike est une pure merveille. On a aussi mis en commun nos savoir faire techniques. Dans ce groupe, il y a des bons... des vrais bons. Et naturellement, peu nombreux, la barrière de la langue nous a amené à partager et échanger. On a pu bénéficier de transferts de technologie sur les pontons. Et tout çà bénévolement, contrairement à d’autres ports en Turquie, ou l’entraide s’est monnayée, ici, nous ne l’avons jamais toléré. Ici, le service est gratuit, et on met la main à la pâte. Je peux vous dire que les français ne sont pas feignants... A ce jeu, outre l’étonnement de nos amis anglais, nous avons aussi fait le désespoir de quelques chantiers spécialisés à la marina...
On a vu des trucs incroyables : un Perkins 4108 déculassé sur le ponton, Michel 9 fois en tête de mat, avant de décider que ce serait peut être plus facile de tomber l’étais, pour refaire l’enrouleur de génois, Christian qui perce en l’affleurant, l’intérieur du fond de la quille de son endurance 36... Il a fallu restratifier, de l’intérieur, suspendu par les pieds... sans déconner !!! Et dix mille truc comme çà que l’on a fait avec nos petites mains.

Ils ont élaboré et mis au point des instruments étonnants. En particulier le fabuleux Tango-Gitomètre :

Le tango-gitomètre, remarquable avancée technologique, mesure en continu et en multi-tâches le tangage et la gite du navire. Prodigieux outil de contrôle de navigation, il permet au capitaine de conserver en permanence sa lucidité, en matérialisant le parfait équilibre de son beau navire. C’est aussi un excellent adjuvant psychologique, lorsque le vent monte un peu:


L’équipière parfaite et souriante, merveilleuse compagne des longues soirées au mouillage (au sens de lieu ou l’on a posé l’ancre bien sûr…), ne virera pas pétasse chiante en hurlant :

  • hiiii chériiii... on penche, on va chavirer
  • hiiii chériiii... on tangue, on va culbuter

Non, rassurée par le Tango-Gitomètre, elle pourra tranquillement vaquer aux tâches habituelles: la vaisselle, la cuisine, le ménage… Libérant le capitaine d’une tension nuisible à sa lucidité, et la dégustation sereine de son ouzo familier...

 

C’est marrant, mais c’est ici, sur les pontons de Finike, que je me suis rendu compte, que mes copains petits vieux (de mon âge !!!), rejetaient, les aides à la navigation électronique. Non pas que l’informatique leur fasse peur, non, tout simplement, ils en surestimaient ses difficultés et se bloquaient. C’est ici, ou j’ai commencé à expliquer, expliquer, et expliquer encore... Et c’est comme çà qu’est venue l’idée du tutoriel OpenCPN.

 

L’hiver à Finike, la Gazette de Finike
 
Il faut aussi parler de la Gazette de Finike, comme écrit plus haut, mais c’est important : la seule Gazette de Finike en langue française.... C’est parti d’une période ou ABC (Archi Belle Cath) la compagne de Patrick, avait le moral un peu sur les chaussettes. Croisant belle Anne Marie (la femme du colonel, si, si on avait un colonel dans l’équipe, et colonel de l’armée de l’air, force de frappe stratégique SVP, accessoirement, un excellent cuisinier), donc avec belle Anne Marie on trouve une idée pour remonter le moral de ABC (Archi Belle Cath je vous rappelle). ABC a été un journaliste dans le temps... Et vlan c’est parti, et on fait pour elle cette foutue Gazette, qui devient le lien entre les finikéens de Finike, et les finikéens repartis bêtement en France !!! Et çà a marché tout de suite, full délire, tout le monde mettant son talent à contribution. Et çà marchait d’enfer. On a eu des tirages incroyables : jusqu’à 90 exemplaires !!! C’est quelque chose çà !!!

Et le fameux Help TM curieuse association de petits vieux toniques et irrévérencieux. Avec eux, le 1er qui se prenait au sérieux, il était mort, et pourtant, ils en ont fait des trucs constructifs : l’envoyé spécial de la Gazette, au terme d’une longue et périlleuse enquête, à réussi à identifier trois membres du HELP ™.
 

  • L’un des membres, Christian D…, ancien ingénieur, redoutable séducteur, est doué d’un talent inégalé pour le démontage. Il se dit qu’il lui arrive parfois de tout remonter..
  • Le deuxième, Patrick B…, ex brillant chef d’entreprise, doublé d’un parachutiste encore presque entier, vient d’orienter sa carrière vers la maçonnerie.
  • Le dernier, Michel P…, ancien boucher charcuteur, s’est reconverti tout récemment dans les déchets de teck.

La bande, que l’on voit sur la photo ci-dessous, appuyée sur des réseaux aussi puissants que secrets, est à l’origine de bien des évènements jusqu’à maintenant inexpliqués :

  • Le naufrage de la Méduse
  • Celui du Titanic
  • La théorie quantique
  • La prise de la bastille
  • La découverte du béret acoustique ***
  • La tri dimensionnalité équatoriale
  • Les applications dédiées à la théorie de la tartine
  • La grossesse de Carla Bruni
  • La découverte du Tango-Gitomètre
  • Et bien d’autres encore
*** béret acoustique : béret ordinaire, mais avec trois tailles de trop, et qui descend jusqu’aux oreilles…

La bande réunie, autour d’un feu de bois pour y préparer comme d’habitude "une p'tite bouffe sympa". L'envoyé spécial de la gazette,  a pu enregistrer leurs propos :

  • Christian D… : Dis donc, tu as vu X… sur le ponton C, tu sais le mec dont la nana avec un beau cul… Ce couillon a peur que ses batteries le lâche. Il est con, elles sont bonnes ses batteries. Ce serait bien qu’on lui foute les jetons, et hop ! On récupère les batteries, non ?
  • Patrick B… : Je suis à fond avec toi, enfin presque... Oh non, oh non faut pas faire çà, non c’est pas bien, non, non on fera pas ça…. Heu... Au fait, elle a vraiment un joli cul ? Et ses batteries, c’est combien d’ampères ???
  • Michel P… : Allez y cocos, continuez... c'est bon, ne changez pas de main... j’enregistre, tout çà va paraître dans la prochaine gazette...

    NDLR, et voilà le travail:
    HELP  Hypocrite, Escroc et Langue de Pute…

 

 

L’hiver à Finike, les potes turcs
 

A Finike, le port est dans la ville. Alors fatalement on tout de suite eu de nombreux copains turques. C’est sûrement Catherine (ABC) qui a donné le ton. Très vite elle n’a pas accepté de parler petit turc... Alors à partir des relations qu’elle s’est faites en ville, elle trouvé des familles cultivées souhaitant faire apprendre le français à leurs enfants. Et du coup, leur apprenant le français, elle a appris le turc, puis elle a développé.


La gentillesse naturelle des turcs aidant on a fait copain avec Faïk, le restaurateur, armateur et shipchandler, avec Umit à la réception de la marina, avec Ferda et son mari Ahmet, avec Brenda la dentiste, avec Aysun la jeune femme médecin francophile, avec le boucher, avec le meilleur boulanger du monde, avec un tas de monde. Et on a fait des fêtes pas ordinaires avec nos amis turcs, marins nomades, chez des turcs fils de nomades

     

  • C’était la glorieuse année 2007.
  • Il y a toujours une ambiance francophone à Finike.
  • Elle a évoluée. Le marin est fluctuant, n’est ce pas.
  • Certains sont partis vers d’autres ports, d’autres sont arrivés,
  • il y en a qui ont vendu leurs bateaux...
  • Mais ‘Nec Mergitur’ Il flotte toujours un parfum de Gazette dans l’air parfumé de fleur d’oranger à Finike

 

Michel, mars 2010, Finike